Comment, face à la menace russe, assurer et renforcer
la sécurité énergétique de l’Ukraine, au cœur de la vie sociale du pays
Document complet du groupe de travail
Sécurité énergétique pour l'Ukraine
Faute d’avoir remporté la victoire militaire rapide qu’elle escomptait, la Russie s’en prend depuis plus de 2 ans aux populations civiles, afin de briser leur esprit de résistance – pour l’instant en vain. L’un des principaux volets de cette stratégie délibérée de terreur vise les infrastructures énergétiques. L’hiver 2022-2023 a été de ce fait très difficile pour les Ukrainiens, beaucoup plus que le suivant, relativement doux.
Toutefois depuis le printemps 2024, la Russie a encore intensifié ses bombardements contre des civils et notamment les installations électriques, profitant d’une pénurie croissante de moyens de défense anti-aérienne ukrainiens. Les coupures de courant ont même atteint la capitale Kyiv, qui a connu cet été des blackouts de 12 à 15 heures par jour. Mais toutes les villes sur le territoire sont affectées à différents niveaux. Sur la seule journée du 26 août dernier, la Russie a lancé 109 drones iraniens Shahed et 127 missiles. 35 de ces projectiles ont atteint leurs cibles, dont des sous-stations de distribution des trois centrales nucléaires encore sous contrôle ukrainien. Elles assuraient alors environ les trois-quarts de la production restante, d’où des coupures encore plus massives de courant à travers tout le pays. La Russie a clairement annoncé son objectif pour les semaines à venir : empêcher ces centrales cruciales de fonctionner. Elle met ainsi en péril leur refroidissement, décuplant la menace nucléaire que fait peser sur toute l’Europe, depuis 2 ans déjà, l’occupation de la centrale de Zaporizhia, à l’arrêt.
La Russie semble attendre les premiers grands froids pour frapper massivement les infrastructures énergétiques au pire moment et rendre l’Ukraine inhabitable (immeubles sans eau, ni chauffage, ni lumière, ni ascenseurs, industries à l’arrêt), provoquant l’évacuation des grandes villes et le départ à l’étranger de millions de réfugiés. La conservation des aliments frais ou surgelés mais aussi des vaccins est déjà compromise. Début septembre dernier, le Haut commissaire de l’ONU aux droits de l’homme a dénoncé cette stratégie. Les attaques répétées sur les barrages hydroélectriques, autre source essentielle d’électricité encore disponible (cf carte p.3), pourraient non seulement réduire encore la production mais conduire à des catastrophes écologiques et humaines à très court terme.
Comme nous l’affirmons dans une récente tribune du Monde, nous pouvons et nous devons éviter à l’Ukraine ce cauchemar programmé, et à toute l’Europe une catastrophe nucléaire potentielle.
Les dix mesures que nous proposons sont relativement peu coûteuses, si on les compare au budget nécessaire à la reconstruction des installations ciblées par les Russes, voire à la ruine qu’entraînerait la contamination radioactive du continent européen avec toutes ses conséquences sur la population.
Préambule:
état de la production électrique en Ukraine
Avant l’invasion à grande échelle du 24 février 2022, le secteur énergétique en Ukraine avait déjà été frappé de plein fouet par la perte des ressources minières du Donbass (principalement charbon et gaz) et de la Crimée (hydrocarbures offshore). Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la part du charbon dans la production électrique a ainsi décru entre 2013 et 2021 de plus de moitié – ce qui, en accélérant la nécessaire élimination des énergies fossiles (cf proposition 9 ci-dessous), n’a évidemment pas que des aspects négatifs.
En 2021, toujours selon l’AIE, la production électrique totale en Ukraine était à 54,6% nucléaire (pourcentage le plus élevé en Europe après la France), à 32,2% thermique, à 6,5% hydro-électrique et à 4,2% solaire (cf. graphique ci-dessous).
Les 4 centrales alors en fonctionnement avaient une capacité totale de production de 13,8 GW. La plus importante, celle de Zaporizhia (6 GW), est à l’arrêt depuis qu’elle est passée sous contrôle russe au printemps 2022. Celles qui restent, Rivne, Sud-Ukraine et Khmelnytskyi (cf carte p.3 ci-dessous), ne représentent donc que 56% environ de la capacité de production nucléaire antérieure à l’invasion de 2022. 4 nouveaux réacteurs nucléaires d’1 GW sont en chantier à la centrale de Khmelnytskyi, mais n’entreront pas en service avant au moins 3 ans.
Après les dernières frappes d’août 2024, l’Ukraine ne disposerait plus que de 10 à 20% de la production de ses centrales thermiques et de 55% pour l’hydro-électrique. Selon l’estimation du think tank spécialisé Dixigroup, il lui manquait déjà avant le 26 août environ 4,5 GW de capacité pour assurer le pic de demande hivernal, estimé à 18 GW. Il est probable que le déficit actuel est encore plus important.
Une augmentation des importations d’électricité depuis la Hongrie (qui en assure plus de 30%), la Slovaquie, la Pologne, la Roumanie et la Moldavie est en cours de négociation. Mais elle ne serait que de 0,7 GW (passage de 1,7 GW à 2,4 GW), donc très loin de satisfaire l’ensemble des besoins.
Un autre élément indispensable à la survie de la population en hiver est la production de chaleur, gérée par les municipalités. En milieu urbain, environ 60% des besoins en chauffage et eau chaude sont assurés par des réseaux de vapeur en surface (et non souterrains, comme en France). Visés par les bombardements russes, ces réseaux sont toutefois moins vulnérables du fait de leur maillage. Certaines de ces centrales pratiquent en outre la cogénération (chaleur + électricité), ce qui améliore nettement le rendement énergétique et permet une production électrique décentralisée.
Nos 10 propositions développent 3 axes stratégiques :
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La défense militaire des installations énergétiques (propositions 1 et 2)
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L’aide d’urgence à apporter en fourniture d’énergie et en réparation des installations (propositions 3 à 5)
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L’assistance à la reconversion énergétique entamée par l’Ukraine (propositions 6 à 9)