Les dix propositions qui suivent développent trois axes stratégiques :
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La défense militaire des installations énergétiques (propositions 1 et 2)
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L’aide d’urgence à apporter en fourniture d’énergie et en réparation des installations (propositions 3 à 5)
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L’assistance à la reconversion énergétique entamée par l’Ukraine (propositions 6 à 9)
Les moyens de financement des mesures que nous présentons sont décrits dans la dixième et dernière proposition.
État des principales infrastructures énergétiques ukrainiennes.
La carte montre l’ampleur des destructions causées par les bombardements russes, selon des sources ouvertes.
En tenant compte de la hausse négociée des importations de courant depuis les cinq pays à l’ouest de l’Ukraine, le pays devra disposer d’un minimum de 15,6 GW pour faire face au pic de consommation hivernal de 18 GW.
Dix sites, indiqués en violet, permettent de produire 15,9 GW. Un renforcement des défenses anti-aériennes ukrainiennes sur ces dix sites pourrait nettement réduire les risques de blackouts cet hiver (Axe 1 ci-dessous). La décentralisation croissante de la production électrique (minicentrales, générateurs, éoliennes, solaire…) y contribuera aussi (Propositions 4, 6 et 7 ci-dessous).
Axe 1 : défense militaire des installations énergétiques (propositions 1 et 2)
Proposition 1 : accroissement de nos fournitures d’armes anti-aériennes à l’Ukraine.
Le président Zelensky a récemment estimé que son pays a besoin de 25 batteries Patriot ou leurs équivalents franco-italiens SAMP/T Mamba pour défendre pleinement son espace aérien, contre six ou sept actuellement disponibles. Il appartient évidemment aux autorités ukrainiennes de décider des sites à protéger en priorité.
On peut cependant avancer que dix sites au moins devraient être sécurisés (cf carte p.3 ci-dessus) pour assurer le pic hivernal de consommation de 18 GW, en associant les centrales thermiques et hydroélectriques encore en état de fonctionnement (ou en cours de réparation) et les trois centrales nucléaires.
Nous proposons que la France et l’Italie envoient très rapidement deux systèmes SAMP/T Mamba supplémentaires (incluant la batterie italienne prévue en septembre). Aller au-delà paraît difficile, l’Ukraine risquant de se heurter à moyen terme à une relative pénurie de missiles Aster 30 tirés par ces batteries.
Une telle décision franco-italienne servirait d’incitation ou d’accélérateur à l’envoi de batteries Patriot par d’autres pays comme les Pays-Bas.
Ces systèmes à longue portée (de 80 à 160 km selon le type de missiles) devraient être complétés par des batteries à moyenne portée (14 à 40 km), tels que les IRIS/T allemands, les NASAMS américains ou les Crotale-NG français (même s’il s’agit d’un matériel un peu ancien), et des systèmes à courte portée, afin de former un second et un troisième cercle défensif.
La France pourrait également fournir davantage de radars de surveillance à longue portée, pour mieux couvrir les 10 sites énergétiques à protéger.
Avec 1 radar GM-200 livré + 1 vendu, elle est en effet très en-deçà des livraisons américaines (21), allemandes (13 + 1 à livrer) et suédoises (un radar terrestre déjà livré et promesse de deux avions de type AWACS, très précieux).
Ces mesures pourraient être financées par le produit des avoirs publics russes, que l’UE a décidé d’affecter principalement au financement de l’aide militaire à l’Ukraine.
Proposition 2 : protection du ciel ukrainien par les pays limitrophes
Cette demande ancienne de l’Ukraine, formulée dès le printemps 2022 et que nous avons relayée, implique la mobilisation des défenses sol-air et air-air disponibles dans les pays limitrophes, notamment la Roumanie (où des troupes françaises sont présentes) et la Pologne, très mobilisée sur le sujet.
De plus en plus de drones et de missiles russes s’approchent en effet dangereusement des territoires voisins, voire s’y abattent (entiers ou sous forme de débris). Ces pays sont en droit de les détruire préventivement, y compris en intervenant dans l’espace aérien ukrainien comme les y a invités le président Zelensky. Il s’agit d’une mesure de légitime défense – qui justifie un changement de doctrine au sein de l’Alliance – non seulement contre les dégâts matériels et humains que ces engins peuvent causer en s’abattant au-delà des frontières ukrainiennes, mais aussi sur les conséquences potentielles catastrophiques, pour l’Europe entière, d’un dysfonctionnement majeur des trois centrales nucléaires de Rivne, Khmelnytskyi et Sud-Ukraine visées par la Russie.
Nous proposons de mettre en œuvre rapidement la protection du ciel ukrainien, à titre de mesure d’urgence, pour assurer la sécurité des pays limitrophes eux-mêmes aussi bien que des installations énergétiques ukrainiennes. Cela inclut les trois centrales nucléaires et leurs sous-stations, les lignes transfrontalières d’exportation d’électricité (cf proposition 3 ci-dessous) ainsi que les barrages hydro-électriques dont la destruction a des répercussions écologiques catastrophiques au-delà du simple problème énergétique, comme on l’a vu à Kakhovka en juin 2023.
Rappelons aussi que l’Ukraine attend depuis des mois l’autorisation de frapper le territoire russe avec les armes que lui livrent ses alliés, notamment français. De telles frappes sur les entrepôts et les sites de lancement de missiles et drones, ainsi que sur les aéroports d’où décollent les bombardiers russes, sont cruciales : mieux vaut éliminer les archers eux-mêmes que leurs flèches une fois lancées.
Axe 2 : aide d’urgence à apporter en fourniture d’énergie et en réparation des installation (propositions 3 à 5)
Proposition 3 : accroissement des importations d’électricité depuis l’UE
L’Ukraine peut importer actuellement jusqu’à 1,7 GW depuis 5 pays limitrophes : la Hongrie (qui représente de 30 à 50% des importations), la Slovaquie, la Pologne, la Roumanie et la Moldavie. Des négociations sont en cours pour porter ce plafond à 2,4 GW.
Nous proposons que la France, qui bat cette année ses records d’exportation (avec une puissance annuelle moyenne de 8,8 GW), examine la possibilité d’une participation aux exportations vers l’Ukraine (en alimentant l’Allemagne, qui pourrait ainsi fournir davantage à la Pologne, etc.), ainsi qu’aux travaux nécessaires à la frontière ukrainienne pour permettre cet accroissement des exportations.
Proposition 4 : fourniture d’urgence de générateurs de moyenne et forte puissance
À la fin août 2024, les besoins estimés par le ministère ukrainien de l’Énergie correspondent à un total de 1,33 GW, dont environ 80% déjà livrés ou commandés. Nous évaluons le coût des 20% restants (2551 générateurs pour un total de 256 MW) à environ 50 millions €. Il s’agit là d’une estimation, car le chiffrage précis est rendu difficile par la diversité des modèles requis (entre quelques KW et plus de 10 MW) et des quantités demandées.
Nous proposons que l’on accélère la fourniture de générateurs (accompagnés de pièces détachées en quantités suffisantes, de manuels et de moyens de maintenance, ainsi que des fonds pour acheter le carburant nécessaire). Il faut aussi assurer de doubler tous ces systèmes par des dispositifs de stockage de l’électricité (batteries, écoflows), afin de préparer des réserves pendant que le réseau principal ou les générateurs fonctionnent.
Proposition 5 : renforcement, maintenance et réparation des sites sensibles
Le gouvernement ukrainien a commencé à mettre en place des mesures simples de protection des petites installations énergétiques, avec des sacs de sable, des gabions (casiers de protection), voire des toits bétonnés, mais ceci n’empêche pas complètement les dégâts matériels. La capacité d’intervention et de réparation d’urgence reste essentielle, notamment quand ce sont de grandes centrales urbaines qui sont ciblées.
Nous proposons que soit enclenchée en urgence la fourniture de matériel de réparation : véhicules adaptés, câbles, connecteurs et réserves de pièces détachées. Certains pays, comme l’Allemagne et le Japon, contribuent de façon significative à ce volet d’activité mais la demande est forte pour obtenir le savoir-faire français.
Axe 3 : assistance à la reconversion énergétique entamée par l’Ukraine (propositions 6 à 9)
Proposition 6 : production de chaleur
La production de chaleur (chauffage de l’habitat et production d’eau chaude) constitue un enjeu important distinct. Les centrales au fuel, au gaz et au charbon produisent une partie importante de ces calories nécessaires pour lutter contre le froid, qui sont ensuite distribuées par des milliers de kilomètres de tuyauterie, souvent à l’air libre. Mais tous ces systèmes sont régulièrement ciblés par les frappes russes.
Face à cette situation, les Ukrainiens sont en train de réaliser des efforts considérables pour développer des modalités alternatives, dont la cogénération, en construisant de petites et moyennes centrales dispersées (donc moins vulnérables), dans les villes de l’Est. Il reste cependant beaucoup à faire pour que cette technologie se généralise en Ukraine. Un travail sur l’utilisation du bois est aussi en cours, pour améliorer les pratiques existantes en zone rurale.
Nous proposons, d’une part, que soit mobilisée l’expertise acquise par la France en matière de chauffage urbain, de géothermie (par exemple à la CPCU) et de production de chaleur par valorisation de biomasse et de déchets domestiques, d’autre part, que la priorité soit donnée à la fourniture de centrales de cogénération.
Proposition 7 : appuyer l’Ukraine dans sa recherche d’une résilience énergétique
En Ukraine, pays développé, très froid en hiver et de plus en plus touché par des vagues de chaleur estivales, l’activité économique, comme le bien-être et l’accès des populations aux services de base sont entièrement dépendants de l’énergie. Face aux bombardements russes sur ses installations (dont la localisation et les vulnérabilités sont bien connues de Moscou), l’Ukraine a opté pour une stratégie de résilience énergétique.
Nous proposons d’appuyer cette stratégie qui repose sur une combinaison d’approches et de solutions :
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la décentralisation et la dispersion des moyens de production pour les rendre plus difficile à cibler ;
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l’utilisation combinée de systèmes hybrides comportant la génération classique, la génération alternative fondée sur les énergies renouvelables (panneaux solaires, éoliennes, biomasse, etc.) et le stockage de l’énergie ;
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les redondances, avec basculement entre réseau et batteries selon les besoins (cf proposition 4 ci-dessus), qui contribuent aussi à accroître la résilience du système.
Proposition 8 : recherche d’une plus grande efficacité énergétique
Issus des années soviétiques et des difficultés post-indépendance, les systèmes ukrainiens de production, de distribution et d’utilisation de l’énergie montrent de nombreuses faiblesses systémiques.
D’immenses économies sont possibles dans les systèmes de pompage et traitement de l’eau, dans les hôpitaux comme dans l’habitat et l’industrie. À court terme, l’efficacité énergétique pourrait être accrue non seulement par le développement de la cogénération (chaleur + électricité) mais aussi par des travaux d’isolation thermique, par le remplacement de machines, pompes, réseaux, etc. qui permettraient d’importantes réduction de la consommation, donc une demande « moindre » aux systèmes de production d’énergie qui sont soumis à une extrême pression.
Nous proposons un appui stratégique pour mieux diagnostiquer les lieux de pertes, identifier les options techniques et fournir du matériel plus économe, ainsi que des moyens importants pour l’isolation des bâtiments publics essentiels (hôpitaux, écoles, etc.) et pour la reconstruction d’habitations mieux isolées au niveau thermique.
Proposition 9 : recherche d’une plus grande efficacité énergétique
À moyen et surtout long terme, la situation actuelle peut permettre à l’Ukraine de se débarrasser de technologies obsolètes, polluantes et peu efficaces. Remplacer les centrales thermiques endommagées ou détruites par des énergies renouvelables (solaire et éolien notamment) permettrait à l’Ukraine d’engager plus rapidement l’évolution de son mix énergétique, conformément au Plan national énergie et climat sur 6 ans, essentiel pour l’adhésion à l’UE, adopté par le gouvernement ukrainien en juin 2024, avec un coût estimé à environ 37 milliards €.
Nous proposons de répondre aux demandes des autorités ukrainiennes d’une expertise pour mettre en œuvre ces mesures et ainsi préparer leur intégration européenne.
Financement
Proposition 10 : utilisation des fonds de soutien à l’Ukraine
Un accord bilatéral avec l’Ukraine signé le 7 juin dernier par la France a mis en place un Fonds Ukraine de soutien aux infrastructures critiques et secteurs prioritaires de l’économie ukrainienne, doté de 200 millions d’euros. De son côté, l’Union européenne a aussi alloué des ressources importantes pour le secteur de l’énergie. Le Fonds de soutien à l’énergie en Ukraine, créé par la Commission européenne et le ministère de l’Énergie ukrainien, a reçu au 16/09/24 un total de 585 millions € (dont plus du tiers fourni par l’Allemagne) sur un total promis de 629 millions. Il finance des transformateurs, des matériels de réparation spéciaux, la protection physique des installations, des équipements de production décentralisée (turbines à gaz, unités de cogénération…).
Nous proposons d’une part d’affecter les ressources du fonds français en priorité au financement des propositions 4, 5 et 6, et d’autre part d’engager les fonds le plus rapidement possible. La contribution de la France au fonds européen doit être augmentée pour pouvoir y jouer un rôle d’entraînement et d’orientation conséquent.
Références
Rapports groupe URD
https://www.urd.org/wp-content/uploads/2023/11/EvalUkraine_GroupeURD_ESF_Novembre-2023.pdf
L’ensemble des contributions sur l’Ukraine du groupe URD est disponible via https://www.urd.org/fr/page-de-recherche/?zone_geo=ukraine
Tribunes de Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre !
https://www.enerdata.fr/publications/breves-energie/ukrainien-energie-perspectives.html
https://www.iea.org/countries/ukraine
https://ua-energy.org/en/posts/26-06-2024
https://www.economist.com/europe/2024/07/15/half-ukraines-power-is-knocked-out-winter-is-coming
https://dixigroup.org/en/analytic-cat/war-in-ukraine/ (revue de presse hebdomadaire du think tank ukrainien Dixi, qui conseille le gouvernement dans le secteur de l’énergie depuis 2008), cf aussi https://dixigroup.org/en/ukraine-needs-help-with-restoring-existing-generation-and-alternative-solutions/
https://www.thinksmartgrids.fr/actualites/infrastructure-electrique-ukraine-energies-renouvelables
https://www.ebrd.com/news/2024/ebrd-to-mobilise-300-million-to-boost-ukraines-energy-security.html
https://x.com/den_kazansky/status/1819801620462674362
https://www.energy-community.org/Ukraine/Fund.html
https://www.iea.org/reports/ukraines-energy-security-and-the-coming-winter