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Haro sur les mineurs isolés

Les forces d’occupation et l’appareil d’état russe portent une attention particulière aux mineurs ukrainiens isolés, particulièrement vulnérables au « lavage de cerveau ». Ils sont soumis à une russification intense par la distribution de passeports russes, une éducation patriotique conforme aux « valeurs traditionnelles russes » et une militarisation qui culmine dans les classes de cadets ouvertes aux mineurs de 3 à 18 ans.


Russie Unie et les volontaires WeTogether ont largement contribué à rassembler, alimenter, recenser et surveiller un « vivier de mineurs ukrainiens isolés ». Ils ont participé à leur recensement, à l’organisation de leur tri, de leur transfert, de leur accueil en centres et à la planification de l’ensemble. Dans plusieurs cas, R-U intervient directement dans leur transfert. Ils ont aussi facilité l’adoption de ces mineurs dans les familles russes et, dans une moindre mesure, l’utilisation de ces mineurs à des fins de propagande ou leur incorporation dans des classes de cadets au service de l’état ou de l’armée russe.


LA GALAXIE ULTRA-NATIONALISTE ET ORTHODOXE MOBILISÉE

 

Le ciblage des mineurs isolés préexiste d’ailleurs à l’invasion à grande échelle puisque, le 18 février 2022, les premiers déplacés sont 225 orphelins de l’internat n°1 de Donetsk. Il connait ensuite une montée en puissance constante avec le concours des forces armées du ministère des Situations d’Urgence, de la Garde Nationale et de la police militaire. Le ministère de l’Éducation, en partenariat avec Russie Unie fournit une manne financière et des moyens humains pour le transfert et l’accueil des mineurs ukrainiens en camps.


La volonté politique et l’appui financier du Kremlin mobilisent les alliés politiques et une galaxie d’organisations ultranationalistes et ultraorthodoxes qui gravitent autour du pouvoir politique et du Patriarcat de Moscou.


Responsables respectivement « pour la famille et l’enfance » et « pour la jeunesse » au sein des comités ad hoc du parti, de la Douma et du GTCBO, Anna Kuznetsova et Igor Kastyukevich jouent un rôle majeur et souvent conjoint dans cette entreprise.



Kuznetsova sur tous les fronts


Anna Kuznetsova contribue à la planification de ce programme de russification dès le 20 février 2022, puis prend la direction des « travaux d’harmonisation » avec la loi russe lors de réunions le 6 avril. Elle commence à organiser le transit en « centres de réhabilitation » des mineurs isolés à Moscou à partir du 7 avril, et prend la tête du « quartier général humanitaire » de R-U en charge des adoptions le 28 avril 2022.


Elle s’engage aussi particulièrement dans le transfert de mineurs isolés pour motif médical. Le 7 juillet, Anna Kuznetsova déclare ainsi que R-U recense systématiquement les mineurs des territoires occupés nécessitant des soins médicaux et les transfère dans les hôpitaux avec l’aide du ministère de la Défense.


Elle met notamment en place un réseau d’associations et d’institutions qui aident au transfert des mineurs pour motif médical et à leur accueil. Outre la Fondation Dr Liza, la Fondation et Clinique Roshal et le ministère de la Défense susmentionnés, les fondations « N’abandonnons pas les nôtres », « Route de la Vie », « Patrie Saine », les associations « Pères de Russie », « Mantera » et la FMBA aident au tri et au transfert des mineurs isolés qui sont notamment accueillis à la Clinique Roshal et au RCCH de Moscou, au Centre IRIS de Sotchi et en Crimée. Anna Kuznetsova participe personnellement à plusieurs transferts de mineurs.


Elle planifie également dès mai 2022 l’examen médical des mineurs isolés, avant que Vladimir Poutine ne décrète l’examen médical de masse des enfants des territoires occupés en octobre 2022.


Igor Kastyukevich et son « équipe humanitaire » ont, quant à eux, facilité le ciblage et le transfert des mineurs isolés de « l’internat de Novopetrivka », du « pensionnat d’Olechky » et d’une troisième institution « pour enfants ayant des besoins spéciaux » de Kherson.


Maria Lvova-Belova, elle, paraît avoir son propre « vivier de mineurs isolés » dans les centres du programme « Le Jour d’Après ». Elle est soutenue dans ses projets de « rééducation » des mineurs ukrainiens isolés par l’oligarque ultraorthodoxe Konstantin Malofeev proche du Patriarcat de Moscou, avec lequel elle mène le projet « Enfance Heureuse » de centres pour mineurs.


Elena Milskaya, présidente de la Fondation Archange Michel, adjointe de Malofeev à la Fondation St Basile-le-Grand et femme d’affaire, semble également impliquée dans la déportation de mineurs ukrainiens isolés en lien avec son conjoint, le ministre des Situations d’Urgence Kourenkov, et avec le soutien financier de l’état russe. Milskaya dirige le « Centre National de Surveillance des enfants disparus et blessés », organisation tentaculaire qui prend part à ces déportations et couvre le territoire de la Fédération de Russie.


Andreï Alekseenko, Maire de Krasnodar et adjoint du Gouverneur Veniamin Kondratiev, semble avoir pris personnellement l’initiative de transférer en août 2022 des mineurs de Kharkiv pour des vacances en camps de bord de mer dans sa région qui compte au moins 4 camps pour mineurs ukrainiens isolés. Ils y resteront après la reconquête ukrainienne en septembre 2022. Cette opération est vraisemblablement motivée par l’ambition personnelle et les perspectives de rétribution financière et d’emploi local qu’offre l’accueil entièrement subventionné de mineurs dans une région dépendante d’un tourisme impacté par la guerre.


Enfin, la déportation de milliers d’enfants du Donbass en Biélorussie a été supervisée par le président biélorusse Loukachenko et réalisée avec le concours de Golubev, de la Croix Rouge biélorusse, de la Fondation Alexeï Talaï et de l’organisation ultranationaliste de motards « Les Loups de la Nuit » qui participe à ses activités.



Un système d’adoption coordonné et synchronisé


Notre première communication à la CPI avait montré que Maria Lvova-Belova était la cheffe d’orchestre du programme d’adoption des mineurs ukrainiens en Russie, sous la supervision directe de Poutine. R-U a participé à l’élaboration et la réalisation de cette entreprise de façon parfaitement coordonnée et synchronisée.

 

Il faut rappeler que l’adoption a pour conséquence de rompre les liens entre le mineur adopté et ses origines familiales et nationales. L’adoption des mineurs isolés ukrainiens présente donc pour l’occupant russe le double avantage de supprimer l’identité ukrainienne de ces mineurs et de minimiser l’investissement de l’état dans leur « rééducation ». Selon les propos de Lvova-Belova elle-même, le programme d’adoption des mineurs ukrainiens « isolés » a vocation à devenir « systématique ».


Le 6 avril 2022, dans le Donbass deux réunions au sujet de l’adoption des mineurs ukrainiens rassemblent Maria Lvova-Belova, Anna Kuznetsova, Andreï Turchak, Artem Turov et l’adjoint de Andrey Vorobyov, Vyacheslav Dukhin, ainsi que Denis Pushilin et Dmitry Sablin à Donetsk, ou Leonid Pasechnik à Louhansk. Un quartier général est institué qui régit le placement des « orphelins » sous supervision de Maria Lvova-Belova, tandis que Anna Kuznetsova dirige les travaux d’harmonisation des législations de la RPD, la RPL et la Russie afin de permettre leur placement sous tutelle et leur adoption de ces mineurs. Artem Turov est nommé coordinateur au niveau de la RPD et la RPL des travaux de R-U dans cette direction.


Le lendemain R-U annonce que Anna Kuznetsova a conclu un accord avec la Fondation Roshal et Fedorenko sur le transfert de mineurs ukrainiens pour « réhabilitation médicale » à la Clinique Roshal de Moscou. Partenariat qui sera étendu à d’autres établissements de soin, notamment la Clinique pour Enfants du RCCH et peut-être le Centre Clinique de la FMBA.


La campagne d’adoption qui débute dans la région de Moscou est annoncée à grand renfort de publicité dès le 13 avril 2022 par Andrey Vorobyov et Lvova-Belova lors du forum « Vivre et être élevé dans une famille ».


Fin avril 2022 la nomination de Anna Kuznetsova à la tête du « Quartier Général Humanitaire » du Conseil Général de R-U, chargé notamment du placement des « orphelins » dans les familles, confirme sa prééminence dans le soutien de R-U au programme d’adoption tandis que Igor Kastyukevich se présente comme « responsable des enfants » de la région de Kherson, notamment des « orphelins Russie Unie » qu’il place sous « contrôle spécial.



L’annexion permet une naturalisation expéditive


C’est sous ce « contrôle spécial » que les mineurs ukrainiens isolés de la Maison des Bébés de Kherson, débusqués de l’Église du Calvaire où ils étaient cachés (puis raflés et déportés en octobre 2022 à « l’orphelinat Yolochka » de Simféropol où certains d’entre eux seront proposés à l’adoption dans la région de Moscou) et que 3 bébés de la Maison des Bébés, en cours de soins à l’hôpital pour enfants de Kherson, sont raflés le 1er septembre 2022 (l’un d’eux sera adopté).


Dans la région de Zaporijia, Yevgeny Balitsky collabore lui aussi au programme d’adoption, comme en témoigne une réunion du 11 novembre 2022 avec Lvova-Belova dans un orphelinat de Melitopol, relayée par une vidéo où on voit cette dernière prendre un bébé dans un lit de l’orphelinat et le confier à un militaire. Andrey Vorobyov, assisté de Vyacheslav Dukhin, organise l’adoption des mineurs isolés dans la région de Moscou dès le 6 avril où il préside aux premières adoptions le 22 avril 2022.


L’annexion des régions occupées d’Ukraine lève tout « obstacle juridique » à l’adoption des mineurs isolés ukrainiens en permettant leur naturalisation expéditive. Ces dispositions sont complétées par celles du décret du 17 mai 2023 intitulé « Stratégie pour la sécurité globale des enfants jusqu'en 2030 » qui semblent autoriser, et vraisemblablement imposer aux responsables d’institutions pour mineurs isolés d’octroyer la nationalité russe à leurs pensionnaires.


S’il est pour l’instant impossible de connaître le nombre d’enfants ukrainiens déjà adoptés en Russie, il est probable que ce nombre est plus important que ce qu’en a révélé l’analyse des agissements de Maria Lvova-Belova. Les adoptions de mineurs ukrainiens en Russie ont cependant diminué, ou procèdent discrètement, depuis les mandats d’arrêt délivrés par la CPI à l’encontre de Maria Lvova-Belova et Vladimir Poutine en mars 2023. Elles se poursuivent néanmoins aujourd’hui comme en témoigne l’adoption en décembre 2023, rapportée notamment par la presse russe locale officielle, d’un enfant de 7 ans de Donetsk par la famille d’un parachutiste de Pskov soupçonné de crimes de guerre en Ukraine.



Anna Kuznetsova et Maria Lvova-Belova, courroies du patriarcat de Moscou


Figures majeures du programme d’adoption des mineurs ukrainiens. Anna Kuznetsova et Maria Lvova-Belova, toutes deux originaires de Penza, mères de familles nombreuses et mariées à des prêtres orthodoxes, travaillent ensemble depuis 2008 en tant que co- fondatrices de l’organisation caritative « Blagovest » avec leurs époux respectifs.

Adoubées par Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev, elles illustrent aussi la mainmise du Patriarcat de Moscou sur les politiques de la Famille, la Femme et l’Enfance de l’état russe.

Celui-ci a édité un ouvrage militaro-patriotique pour enfants dont le titre, « Vivre, c’est servir la Patrie », résume son mot d’ordre, en adéquation avec les prétendues « valeurs spirituelles et morales russes traditionnelles » dont Anna Kuznetsova est le chantre en politique et qui sont inscrites à la charte du « Mouvement des Premiers ». Leurs propos récurrents attestent aussi qu’elles adhèrent à l’idéologie négationniste « panrusse » selon laquelle les Ukrainiens sont russes.

Dans cette vision obsessionnelle, le destin premier assigné aux mineures isolées ukrainiennes est sans nul doute de « croître et multiplier » en mères de familles nombreuses « panrusses ». Celui des mineurs isolés est de « servir la Patrie » en la « défendant » contre « l’éternel agresseur nazi » les armes à la main, c’est-à-dire en éradiquant la nation ukrainienne et en étendant les frontières de la Russie.

LA MILITARISATION DES ORPHELINS PASSE PAR LES CADETS


En Russie un vaste programme de militarisation des jeunes a débuté en 2008 lors de l’invasion de la Géorgie. La création de classes de cadets, où la militarisation se combine à l’endoctrinement, a été annoncée par le ministère de la Défense en 2013.

Dans ces classes, qui débutent à partir de 3 ans, les élèves plus âgés « parrainent » les plus jeunes.


En 2018, Anna Kuznetsova, alors commissaire présidentielle à l’enfance, lance un programme de mentorat des « orphelins » par l’Yunarmiya qui aidera à « leur développement… et leur réalisation personnelle » dans plusieurs domaines tels que « formation patriotique… camps d’entraînement, orientation professionnelle… culture… volontariat ».


Igor Kastyukevich met en œuvre dès 2021 dans le cadre de l’ONF-J, « avec le soutien de Poutine », le programme « Coach » de rééducation des « adolescents difficiles » par un tuteur qui veille notamment à leur « éducation culturelle et patriotique ».


Conçues dès leur création comme « l'épine dorsale de la jeunesse qui devra construire, renforcer et défendre les intérêts de [la Russie] dans le 21e siècle ». Les classes de cadets et de l’Yunarmiya, sont étendues très rapidement aux territoires occupés. 


Le programme débute dans le Donbass, bien avant l’invasion du 24/02/22, avec la création de corps et de classes de cadets, dont certaines « pour orphelins » comme dans l’école pour mineurs isolés N°1 de Donetsk.

Russie Unie annonce en février 2023 la création prochaine par Igor Kastyukevich et Vladimir Saldo de classes de cadets dans la région de Kherson qui accueilleront vraisemblablement les mineurs isolés de cette région. Il est possible également que, conformément à la proposition du député R-U Andreï Kartapalov, certains mineurs isolés ukrainiens aient été envoyés en internat militaire en Russie.


Ce volet militaire de « l’exploitation » des mineurs isolés ukrainiens justifie aussi la décision de Poutine de décréter « l’examen médical de masse » des mineurs des territoires occupés, destiné à trier enfants sains et « malades » : dans la plupart des cas un syndrome de stress post-traumatique incompatible avec un entraînement militaire. Notons qu’un examen médical est requis pour l’incorporation dans les classes de cadets et probablement dans une organisation militaro-patriotique de jeunesse.



Denys Kostev, intinéraire d'un «rééduqué »


Plusieurs témoignages ont décrit les conditions très coercitives dans lesquelles se déroule la russification militaro-patriotique des mineurs isolés ukrainiens. Denys Kostev, 16 ans, faisait partie des adolescents isolés du centre de Stepanivka, en banlieue de Kherson, qui avaient été dissimulés dans des familles d’accueil à l’arrivée des occupants russes.

Scolarisé à Kherson en compagnie de cinq autres adolescents du centre de Stepanivka, Denys est emmené avec ses camarades en octobre 2022 dans un premier, puis un deuxième camp en Crimée pour deux semaines de vacances qui se transforment en mois. Ils y subissent une « rééducation patriotique », ils sont battus pour toute démonstration d’allégeance à l’Ukraine et il leur est répété que « leurs parents n’ont pas besoin d’eux » et « qu’ils ne viendront pas les chercher ».

Transférés début 2023 à Henichesk, ils y reçoivent la visite de Maria Lvova-Belova qui insiste pour qu’ils prennent la nationalité russe et leur fait des propositions alléchantes pour aller s’établir en Russie. Denys est contraint, semble-t-il sous menace du FSB, de refuser de partir avec sa gardienne légale qui était venue le chercher (et devra elle-même enregistrer pour la propagande russe de faux aveux filmés sur sa prétendue tentative d’enlèvement).

Durant toute cette période, puis après son départ à Moscou en septembre 2023, Denys enregistre de nombreux contenus de propagande, toujours, semble-t-il, sous la contrainte du FSB qui l’incite également à la délation.

Après avoir ignoré son avis de conscription dans l’armée russe, Denys parvient à fuir la Russie vers l’Allemagne en février 2024.


Organigramme Russie Unie_edited.jpg
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