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La russification par l'éducation

L’occupation russe a brutalement plongé les mineurs ukrainiens des territoires occupés dans un cauchemar militaro-patriotique totalitaire dont la russification scolaire et périscolaire est un axe essentiel.
Son programme a été en bonne partie imaginé et orchestré par Russie Unie, et mis en place par ses « missions humanitaires ».
Les mineurs sont à la fois victimes et objets d’un chantage à l’éducation pour contraindre les parents à soumettre leurs enfants à un système qui n’offre pas d’échappatoire, l’embrigadement s’effectuant à l’école, dans les bibliothèques ou les loisirs, dans les corps de cadets ou dans des mouvements de jeunesse au militaro- patriotisme fanatique.


L’ÉCOLE, CIBLE PRIORITAIRE


L’école, centre névralgique de la vie des mineurs autour de laquelle gravitent leurs autres activités, est la cible prioritaire des efforts conjoints de Russie Unie et du ministère de l’Éducation. Il s’agit tout d’abord de supprimer les repères culturels et éducatifs « hors normes russes ».


R-U œuvre, dès la semaine qui précède l’invasion du 24/02/22, à « l’organisation du processus éducatif » des mineurs ukrainiens déplacés en Fédération de Russie. Un programme planifié de mise en conformité des écoles ukrainiennes avec les « normes russes », est mis au point, appuyé par un recours massif à la propagande et la désinformation, qui implique principalement R-U, sa faction à la Douma et le ministère de l’Éducation de Russie.


Les ordres de Poutine sont clairs : « intensifier le travail avec la jeunesse des territoires occupés pour renforcer l'identité civique panrusse, ainsi que l’information en milieu scolaire» afin « d’intégrer les territoires occupés dans la sphère de la politique d'État de la Fédération de Russie » à l’horizon 2025.


Rentrée scolaire à marche forcée


La russification scolaire des territoires occupés d’Ukraine se met donc en place à marche forcée afin de préparer la rentrée des classes du 1er septembre 2022, ce qui témoigne de la mobilisation de toutes les ressources de l’État russe vers l’objectif génocidaire d’éradication de l’identité ukrainienne.


Le 17 mars 2022, une réunion conjointe R-U/ministère de l’Éducation pour la « synchronisation des systèmes éducatifs de la Russie, de la RPD et de la RPL » se tient à la Douma « au nom de son président » Viatcheslav Volodine. Anna Kuznetsova conclut sur l’importance des « valeurs que nous devons ensemble apporter à nos enfants, en prenant soin de leur avenir, de l'auto-préservation de la nation et de la vérité historique ».


Les cadres de R-U sont mobilisés conjointement à ceux du ministère de l’Éducation et des autorités d’occupation pour cette campagne de russification scolaire donne la mesure de l’importance qu’y attache l’appareil d’état russe. Ils vont veiller attentivement à la préparation des écoles pour la rentrée et à leur 

fréquentation par les élèves.


Le 24 juillet, Artem Turov diffuse le nouveau programme scolaire de la région de Kharkiv : langue russe en première matière pour toutes les classes, langue ukrainienne sur demande des parents, demande dont nul intéressé ne peut ignorer le caractère périlleux.


Ces dispositions sont confirmées pour la région de Kherson par Igor Kastyukevich, qui précise que « toutes les matières seront enseignées en russe… selon le programme russe mettant l'accent sur l'histoire et la culture de la région… [avec] le matériel pédagogique fourni par l'école » et que « l'école est désormais purement étatique. »


À partir de septembre, chaque lundi dans chaque école l’hymne russe et le lever du drapeau russe précèdent des cours patriotiques obligatoires « Conversations sur des choses importantes ». Parallèlement aux programmes l’occupant s’en prend aux livres et aux enseignants dans une succession d’actions parfaitement orchestrés : désinformation massive, purge des bibliothèques et des directeurs d’établissements scolaires, afflux de livres et manuels russes, refonte des programmes et recyclage des enseignants….


Qu’elle ait été initiée dès mars 2022 puis menée en contrepoint du programme de naturalisation et de préparation au référendum d’annexion est particulièrement révélateur de sa préméditation qui vise à donner l’illusion d’une adhésion enthousiaste de la population ukrainienne à la « vie paisible » russe dès septembre 2022.


L’incitation à scolariser les enfants à l’école « russifiée » s’accompagne d’une livraison massive de littérature et manuels scolaires dans les régions occupées. Les campagnes « des livres pour le Donbass » et « amener l’enfant à l’école », dont Andreï Turchak fait lui aussi la promotion, se poursuivent jusqu’au-delà de la rentrée scolaire et s’accompagnent de films de propagande. Les 13 et 15 avril 2022, R-U et Sergueï Kravtsov (ministre de l’Éducation de Russie) annoncent la distribution prochaine de 90.000 livres pour enfants,


En mars, lors d’une opération de propagande, Igor Kastyukevich saisit « des manuels scolaires et de la littérature pour enfants de l'une des écoles de Kherson » et part le 21 mars les remettre à Kazakova afin d’y chercher des indices de « la promotion… du nazisme en Ukraine depuis l'école ». La saisie est bien entendu filmée et on voit Mickey et Minnie mouse sur une étagère.


Autodafés de livres ukrainiens


Conforme aux impératifs de la réalité inversée appliquée à la sphère pédagogique, l’examen conclut sans surprise que « la propagande pro-occidentale et américaine a pénétré dans l'esprit des écoliers ukrainiens » puisque « la Russie est présentée comme un agresseur et un ennemi empiétant sur l'indépendance des autres pays… » et que « le référendum en Crimée en 2014 est qualifié dans les manuels d' "invasion des troupes russes dans la péninsule" ».


Même scénario dans les bibliothèques où R-U réalise « un audit des bibliothèques… des territoires libérés [afin] de rénover sérieusement le parc de livres ». Les bibliothèques des territoires occupés seront en effet purgées de leurs livres ukrainiens, ce qui donne lieu à des autodafés. Par exemple, 22.000 manuels d’histoire ukrainiens sont éliminés des écoles de la région de Louhansk et tous les livres de la bibliothèque de l’Église Petro Mohyla à Marioupol ont été brûlés.


Enfin, avec l’aide des recrues de la branche régionale de R-U, Igor Kastyukevich met en place en avril 2023 une surveillance des bibliothèques de la région de Kherson, baptisée "Contrôle populaire", afin d’y vérifier l’approvisionnement en livres russes et l’épuration des ouvrages ukrainiens.


Purges dans les musées


Les musées n’échappent pas à la purge qui, à Kherson, donne lieu à un pillage à grande échelle des œuvres, sous prétexte de les mettre à l’abri des bombardements ukrainiens, ou à leur destruction.


La mission humanitaire R-U de Kherson intervient « dans le cadre de la dénazification et de la lutte contre le fascisme » pour supprimer un musée de la résistance à l’invasion russe de 2014 (« musée ATO ») situé dans une école à proximité de Skadovsk, sur dénonciation par le « chef du village et le nouveau directeur de l'école » qui promettent « d'aménager un musée de vrais héros militaires russes - ceux qui ont combattu le fascisme pendant la Seconde Guerre mondiale et le font maintenant, dans le cadre de l’opération militaire spéciale, en  protégeant la population civile ».


Toujours sous l’impulsion de R-U et en la présence inquisitrice de Igor Kastyukevich, les écoles de la région de Kherson ouvrent à partir de juin 2023 des « Musées scolaires de la Victoire » dans le cadre d’un projet mis en œuvre dans les territoires occupés par le Musée de la Victoire de Moscou et le ministère de l'Éducation de Russie afin de rétablir « la vérité historique ».




LE GRAND « RECYCLAGE » DES ENSEIGNANTS


La russification scolaire implique également le « recyclage des enseignants » des écoles des territoires occupés, annoncée le 28 juin 2022 par Kravtsov. 


La répression s’abat très tôt sur le personnel éducatif récalcitrant, comme l’attestent les « recadrages » d’écoles, surveillance de bibliothèques et de musées, remplacements, répression et tortures.


Le 20 août, lors de la réunion pédagogique précédant la rentrée, Kazakova déclare aux enseignants de Marioupol que « R-U assurera l'intégration du Donbass et des territoires libérés dans les programmes d’éducation russes » et que « la refonte des écoles, un programme que R-U met en œuvre au nom du président Vladimir Poutine, deviendra certainement un programme obligatoire pour vous aussi ».


Le lendemain, Igor Kastyukevich se fait l’écho des réticences des équipes pédagogiques de la région de Kherson, en l’occurrence à Nyzhni Sirohozy au nord de Henichesk, à adhérer au « processus éducatif… de la Fédération de Russie » pourtant « meilleur que celui de l'Ukraine », selon lui en raison des « provocations de la partie ukrainienne, qui continue de désinformer et d'intimider les enseignants ».


Un vaste programme de recyclage « aux normes russes » des enseignants des territoires occupés s’engage alors. Sergueï Kravtsov (ministre de l’Éducation de Russie) estime que « ce processus prendra environ cinq ans ». Il annonce « l’ouverture d'universités pédagogiques fédérales dans les nouvelles régions de Russie [d’Ukraine occupée, afin…] d'éliminer l'ignorance totale de l'histoire », en d’autres termes afin de procéder au « recyclage » des enseignants.


Des enseignants « disparaissent »


En juin Kravtsov annonce que « plusieurs milliers d'enseignants [des territoires occupés] ont suivi une formation de recyclage [dans] des centres… spécialisés… à Rostov et en Crimée ».


La russification est parachevée lors de l’accréditation des écoles par le Service de Contrôle de l’Éducation et de la Science de Russie afin de délivrer des diplômes valables en Russie.


Les enseignants et la direction de ces établissements scolaires n’auront d’autre choix que d’obtempérer à ces mesures ou d’être renvoyés. Certains « disparaissent », comme Iryna Shcherbak, directrice du département de l’éducation à Melitopol, Olha Nikolayeva, professeure de langue ukrainienne à l’école No. 3 de Berdiansk, Oksana Yakubova et Iryna Dubas enseignantes de Nova Kakhovka, et d’autres sont emprisonnés et/ou torturés.




RUSSIFICATION PÉRISCOLAIRE


Parallèlement à l’assujettissement des écoles, une « russification périscolaire » des enfants s’engage dans laquelle les volontaires WeTogether ont un rôle direct. Une vague d’organisations russes d’éducation et de loisir de la jeunesse arrive également dans les bagages de l’occupant et déferle sur les territoires occupés.


La russification périscolaire par les volontaires WeTogether a lieu dans les centres humanitaires Russie Unie des régions occupées d’Ukraine et dans les centres de loisirs R-U qui leur sont adossés.


Andreï Turchak annonce le 4 juillet 2022 que des « Brigades étudiantes pédagogiques » venues de Russie renforceront ces volontaires au centre de loisir RU de Melitopol dans la région de Zaporijia. Le lendemain, il accueille ces mêmes « Brigades étudiantes pédagogiques » dans le Donbass pour travailler dans les multiples centres de loisirs R-U de cette région, ainsi qu’au pensionnat pour enfants de Louhansk.


« Camps de vacances »


Anna Kuznetsova salue le renfort que constituent ces « brigades » et signale l’aide des « Pères de Russie » et de la fondation « Patrie Saine » pour équiper les centres de loisir R-U dans le Donbass. Lors de l’inauguration de celui de Koupiansk le 24 juillet 2022, elle souligne l’importance d’avoir comme encadrants « des gens qui savent réellement où se trouve la vérité ».


Les « camps pour enfants », également désignés « camps de vacances » ou « camps de santé », sont aussi un lieu privilégié de russification périscolaire et extrascolaire puisque les mineurs y sont généralement soustraits à l’influence de leur entourage familial. Les volontaires WeTogether y « familiarisent les enfants du Donbass et des territoires libérés avec la Russie et son histoire ».




LA RÉALITÉ INVERSÉE AU COEUR DU PROGRAMME ÉDUCATIF


L’examen des documents produits indique que la « russification par l’éducation » des mineurs ukrainiens des territoires occupés leur applique une stratégie qui a fait la preuve de son efficacité sur les opinions publiques : leur immersion dans la « réalité inversée » du Kremlin qui est imposée dans de multiples domaines de leur vie. Le lavage de cerveau éducatif vise à faire taire toute opinion qui y serait contraire.


L’entreprise est colossale et c’est pourquoi elle mobilise tout l’appareil d’occupation, de l’administration présidentielle et des ministères aux administrations locales, ainsi que la kyrielle d’associations et d’organisations de jeunesse évoquée ci-dessus. Parmi ces ministères, celui de l’Éducation est impliqué au premier chef, mais également celui de la Culture (bibliothèques, musées, expositions, films, parcs multimédia) et bien sûr celui de la Défense (préparation militaire scolaire, Yunarmiya, classes de cadets) dans l’objectif prioritaire d’accroître la puissance militaire de la Russie.


Ce processus est évidemment adossé à une surveillance idéologique et à des mesures répressives. La Russie dispose d’un arsenal de mesures « rééducatives » et punitives pour traiter le cas des mineurs ukrainiens qui résistent à la russification, qui vont du mentorat mis en place par l’ONF-J et l’Yunarmiya aux camps de rééducation pour « adolescents difficiles » en Tchétchénie.



Des organismes à la mode soviétique 


Les territoires ukrainiens occupés n’échappent pas, bien au contraire, à la réhabilitation de l’héritage soviétique promue par Poutine. Celle-ci se manifeste en de multiples occasions du processus de russification éducative. C’est tout le programme imposé aux mineurs ukrainiens qui semble sorti d’une affiche de propagande soviétique.

Ainsi à Marioupol, Andreï Turchak, Dmitry Sablin et Denis Pushilin célèbrent ainsi le 1er juin 2022 la « Journée de l’enfance » tandis que le 1er septembre 2022, chacun est au garde-à-vous pour une « Journée de la connaissance » toutes deux resurgies de l’URSS.

Russie Unie contribue également à instaurer dans les territoires occupés la célébration des diverses fêtes patriotiques de la Russie de Poutine, la plupart héritées de l’URSS, ainsi que la vénération des symboles et des héros de cette même Russie.

La multitude d’organisations de jeunesse qui déferlent sur les territoires occupés ont pour objectif commun de renforcer le patriotisme et de réinstaurer la préparation militaire des jeunes en vigueur à l’époque soviétique. Certaines de ces organisations sont issues du DOSAAF (Société Volontaire pour la Promotion de l'Armée, de l'Air et de la Marine), mouvement paramilitaire soviétique relancé par Poutine en 2009.

Créé en juillet 2022 et inspiré des Pionniers soviétiques, le « Mouvement des Premiers » vise à préparer « les jeunes [de 6 à 18 ans] à une vie… basée sur les valeurs spirituelles et morales traditionnelles russes… l’amour et le respect de la patrie… le sens de leur responsabilité personnelle dans… le destin de la patrie. »

Pour le leur transmettre, des cours de « préparation militaire de base », en vigueur à l’époque soviétique, sont rétablis pour les enfants de la 5e à la 11e classe tandis que Igor Kastyukevich inaugure à Kherson le jeu militaro-patriotique russe « Zarnitsa », lui aussi d’origine soviétique, dont les participants s’entraînent « à l'assemblage et au démontage d'une mitrailleuse… à la mise d'un masque à gaz… au lancement de grenade [et répondent] à un quiz historique ».


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